L’historique des lavoirs
À l’origine, un lavoir désigne un lieu situé près d’un cours d’eau, une source ou même parfois une mare, principalement destiné au lavage du linge. Le terme est aussi employé pour nommer un édifice où se déroule cette activité. Le lavoir peut aussi servir d’abreuvoir pour les animaux ou pour d’autres lavages comme par exemple, les toisons des brebis. L’historique en est assez bien documentée.
Bien que connaissant le savon et les propriétés nettoyantes des huiles naturelles, des sels et des cendres, les femmes de la Grèce antique lavaient le linge, en plein air, uniquement à l’eau. Toutefois, on retrouve les premières traces de recettes de savon, bien avant, en Mésopotamie, sur des tablettes d’argile vieilles de plus de 4 000 ans. Il était fabriqué en mélangeant de l’huile végétale avec de l’argile et des cendres.
Dans l’Égypte ancienne, ce sont les hommes qui avaient la charge de laver le linge. La raison en est simple. Certes, ils pouvaient disposer de bassins, mais en général, le linge était lavé dans le Nil. Or, à cette époque les crocodiles fréquentaient le fleuve. Dès lors, les femmes et leurs enfants en étaient écartés. Le « détergent » employé était un mélange de cendres, d’argile et de natron, carbonate naturel de sodium qui était aussi utilisé pour la toilette ainsi que pour la conservation des momies.
Ce sont aussi les hommes qui exercent cette activité dans la Rome antique : ils portent un nom particulier, les foulons, et en latin le terme fullonica désigne le lieu où ils travaillent, ancêtre de nos laveries actuelles.
Le « détergent » couramment employé était l’urine animale ou humaine en raison de sa qualité d’agent de blanchiment naturel. Cette utilisation rendait les foulons impopulaires ce qui ne les empêchait pas de gagner bien leur vie. Ceci a sans doute permis à l’empereur Vespasien d’imposer une taxe sur cette collecte. Nous en gardons la trace dans le nom de vespasienne qui, vers 1850, a été donné aux urinoirs publics. Même après la chute de l’Empire romain, vers 476 de notre ère, les foulons et l’industrie dont ils étaient les représentants, continuèrent à fonctionner remplaçant peu à peu l’urine par le savon et autres détergents.
Dans son importante encyclopédie « Histoire naturelle », l’écrivain romain Pline l’ancien (29-79) attribue l’invention du savon aux Gaulois. Il est fabriqué à partir de cendres alcalines ou potassiques, de suif, de saindoux de sanglier ou d’huiles excédentaires non comestibles. C’est à partir du VIIIe siècle que le savon d’Alep, à l’origine de tous les savons durs dans le monde, est élaboré. Il est importé en Occident grâce aux croisades. En France, la première savonnerie a été créée à Marseille au XVe siècle.
Mais peu à peu, suite aux diverses épidémies de peste, il est recommandé de moins se laver et il faut attendre la moitié du XIXe siècle pour que la lutte contre les épidémies (choléra, variole, typhoïde) ainsi qu’une meilleure hygiène corporelle, soient à nouveau prises en considération. C’est ainsi que suite aux mesures qui venaient d’être mises en vigueur en Angleterre, le 3 février 1851, l’Assemblée législative vote une loi demandant la création d’établissements modèles de bains et de lavoirs publics. Contrairement au projet du gouvernement qui l’imposait seulement dans les villes, elle l’étendait aussi dans les campagnes. Le but est alors d’encourager les habitudes de propreté parmi les classes ouvrières, en leur fournissant, aux plus bas prix possibles, et même dans certains cas gratuitement, la facilité de prendre des bains, de laver et de sécher leur linge.
« Concernant les lavoirs publics, et afin qu’ils produisent tout le bien que l’on est en droit d’en attendre, il importe de s’attacher non seulement à faciliter les différentes opérations du blanchissage tel qu’il se pratique dans notre pays, mais encore à donner les moyens de sécher le linge promptement et complètement dans l’établissement même, soit que, en raison du climat, l’exposition à l’air libre suffise, soit qu’au contraire il faille recourir à la chaleur artificielle de l’étuve. »
Toutefois, ces intentions furent loin de porter leurs fruits. La commission qui était chargée d’examiner les demandes de subvention n’eut qu’un petit nombre de projets sérieux à examiner. Paris ne fut doté d’un établissement modèle que lorsque Napoléon III, en 1853, en fit élever un, à ses frais, sur la place du Temple. De nombreux lavoirs, uniquement construits pour le lavage du linge, n’ont été édifiés qu’au début du XXe siècle mais peu à peu leur utilisation a été abandonnée. Malgré la résistance au progrès des lavandières, le lavage du linge a été facilité par l’utilisation des lessiveuses, des machines à laver vers 1950 et en ville, des laveries automatiques.
Historique du lavoir de Senaux
On peut imaginer que l’histoire du lavoir de Senaux diffère peu des considérations générales que nous venons de développer. Les habitants peuvent disposer de quelques ruisseaux plus ou moins importants, celui de Girroussel qui alimente le moulin de la Resse, celui de Blatayrou et celui d’Escroux sans compter le petit ruisseau dénommé le Rigodon. On peut penser que pour les grandes lessives, les hommes peuvent amener par charrettes le linge auprès de ces cours d’eau. Mais dans le bourg, la seule source abondante est celle qui est à l’origine du lavoir. Il se peut que dans un premier temps, le rinçage du linge ait même eu lieu dans le ruisseau qui partait de cet écoulement, ruisseau dont les abords ont pu être aménagés. Tout près, aussi, se trouve la fontaine du Théron qui a pu être utilisée pour les petites lessives.
Les propos de Magdeleine GUY lors du crime de Marguerite CALVET, en date du 5 juillet 1795 peut en être un témoignage. Certes, elle s’exprimait sans doute en patois et le greffier a traduit ses dires du mieux qu’il a pu. Mais on y apprend « qu’étant à laver dans le ruisseau qui est au dit Senaux appelé le Lavadou elle entendit tirer un coup d’arme à feu ». Divers actes de ventes de parcelles bordant le chemin qui conduit au lavoir parlent aussi du chemin du Lavadou.
Le plan cadastral qui a été établi en 1827 montre qu’au bout de ce chemin existait sans doute un petit bassin d’où sortait un petit ruisseau qui courait sur le chemin et se déversait entre deux parcelles. Il n’est pas exclu que le ruisseau ait été utilisé pour l’irrigation de ces deux parcelles puis, pour celles qui sont en dessous. Est-ce le fruit du hasard ? À cette date, la parcelle 629 située en dessus du chemin à cet endroit, appartenait au seigneur du village.
Un autre témoignage est plus tardif. Le 4 juin 1889, le conseil municipal de Senaux se réunit pour étudier la « réparation des fontaines publiques du village » et décide d’envoyer au préfet une lettre où l’état de la fontaine du Lavadou est soulignée en ces termes : « La fontaine du Lavadou qui sert à abreuver les animaux de toutes espèces et à laver le linge, se trouve dans un état déplorable. Le chemin est complètement délabré et plein d’eau ; il n’y a pas moyen d’y aller sans se mouiller les pieds et le petit réservoir n’existera bientôt plus ».
En même temps que cette demande de subvention, le conseil municipal envoie un devis établi par le sieur Huc Antoine, maçon à Senaux où il est stipulé que « pour réparer passablement la fontaine dite du Lavadou il faudrait une somme de 180 frs pour l’achat de pierres, sable et main d’œuvre ». À titre de comparaison, il faut 300 francs pour changer les tuyaux de la fontaine de la chaussée et 20 francs pour réparer le puits de la Goutinarié. Autant dire que les travaux semblent être importants.
Cette demande n’obtient pas de réponse positive. Cependant, le 29 juin 1890, le conseil municipal est à nouveau réuni en séance extraordinaire. À l’ordre du jour : réparation de la fontaine de la chaussée. On apprend à la lecture du compte-rendu de cette séance que des réparations ont été faites au lavoir au cours de cette année. La nature des travaux effectués n’est pas indiquée, mais le maire explique seulement « comment on a été obligé de réduire le devis ».
Quelques années plus tard, Senaux a enfin son lavoir : le « lavoir public – abreuvoir » dont le plan a été signé le 8 septembre 1907 par l’entrepreneur et approuvé le 8 septembre 1908. Le maire Jean VAYRETTE (1849-1923), propriétaire cultivateur à Rieupeyroux (commune de Viane) et son adjoint Antoine HUC (1852- décédé accidentellement le 17 novembre 1910), entrepreneur de maçonnerie comme son père, viennent d’être réélus à la tête de la municipalité le 3 et le 17 mai 1908, municipalité qu’ils dirigent depuis le 22 mai 1884. Autant dire qu’ils connaissent bien les difficultés tant pour laver le linge que pour abreuver les animaux.
Le petit réservoir existant a été remplacé par un lavoir plus grand mais réduit par rapport aux dimensions initialement prévues, économies obligent. Pour la même raison, le nombre d’auges destinées aux brebis a aussi été ramené à deux au lieu de quatre. Le bassin dispose de margelles épaisses de pierre de taille et l’eau jaillit en abondance du talus contre lequel il est adossé. Une eau fraîche puisque sa température est proche de 12 °C tout au long de l’année.
Il est bien dit qu’il s’agit d’un lavoir-abreuvoir. Selon divers souvenirs, le lavoir n’était pas seulement destiné au lavage du linge. Les bestiaux pouvaient s’y abreuver et l’on comprend toutes les querelles que cette situation pouvait produire. On raconte que lorsque les vaches appartenant à certaines personnes arrivaient, les lavandières n’avaient d’autre choix que de leur laisser la place et de continuer leur lessive dans l’une des deux petites auges ! Quant aux deux auges, elles ont été disposées à l’autre bout de la placette, contre le talus de manière qu’elles puissent être remplies par la modeste source qui en jaillissait.
Ce lavoir ne sera couvert qu’en 1932, à la suite d’une décision prise par le conseil municipal le 17 août « après que M. Le Maire ait traité de gré à gré avec Mme Vve Cros épouse Pagès pour acheter l’emplacement du mur qui soutient le lavoir à la somme de cinquante francs ».
Un autre lavoir
Pour éviter à nos bonnes ménagères le chemin et la fatigue pour remonter du lavoir avec une pleine corbeille de linge mouillé, la municipalité a décidé la construction d’un lavoir au centre du village vers les années 1960. Mais elles n’aimaient pas faire la lessive dans ce nouveau lavoir en ciment car l’eau ne se renouvelait pas assez vite ; il fallait être la première !
Lors de la construction de ce lavoir, les auges pour les vaches ont été réaménagées et la cuve en ciment qui se trouvait à l’autre extrémité du mur de la fontaine a été détruite. Cette cuve possédait un robinet en laiton. Combien de disputes ont eu lieu près de ce robinet car en été il n’y avait qu’un faible filet d’eau. Une personne qui habitait tout près, avait toujours des seaux en réserve au pied de la cuve et pendant qu’elle préparait la bouillie avec un seau pour ses cochons qui se trouvaient dans la bâtisse qu’elle possédait à côté, elle mettait un autre seau à remplir. Et les autres attendaient ou enlevaient son seau et c’était reparti pour des disputes !
(Souvenirs d’Évelyne S.)