Le four

Contexte historique

Les fours à pain

Dès l’Antiquité, le pain a été un élément important tant comme nourriture que comme rétribution. Ce sont les Égyptiens qui, les premiers, ont découvert la panification. De nombreuses illustrations dans diverses tombes en montrent la fabrication ainsi que la cuisson qui ont pu évoluer au cours du temps qu’a duré leur civilisation, mentionnant en particulier l’utilisation de fours. Des papyrus rendent aussi compte des rations journalières de pain et de bière qui variaient selon la hiérarchie des fonctions exercées : par exemple, 16 pains et un demi-pain pour l’intendant mais seulement la moitié et un huitième de pain pour chacun des travailleurs manuels !

Aujourd’hui, dans nos campagnes, les fours à pain qui sont encore conservés sont généralement des vestiges de la vie féodale. Sous l’Ancien Régime et jusqu’à la Révolution, les paysans cuisaient leur pain dans le four dit banal qui appartenait au seigneur, ce dernier percevant alors une redevance, le ban, en contrepartie de l’entretien du four et du chemin qui y conduisait. Les nobles et gens d’église, même les curés, lorsque la coutume ou le titre ne les exemptaient pas, étaient aussi assujettis à cette taxe. Vouloir se soustraire à cette taxe était passible de fortes amendes comme en témoignent certaines archives. En général, le ban était versé « en pains » mais encore fallait-il qu’il soit de bonne qualité ! Les bans ont été peu à peu réduits et finalement supprimés à la Révolution. Les fours banaux sont alors souvent devenus communaux mais aussi, au cours du XIXe et du XXe siècle, laissés à l’abandon. Certains sont remis occasionnellement en activité par des associations ou des personnes soucieuses de promouvoir le patrimoine. À cette occasion, des fêtes du pain ont pu être organisées.

La construction et l’entretien des banalités, fours, moulins ou encore pressoirs, nécessite des connaissances techniques qui induisent de fortes dépenses que seul le responsable de la seigneurie ou de l’abbaye pouvait assumer. Par crainte des incendies, les fours collectifs sont, le plus souvent, édifiés loin des habitations. Ils se présentent alors sous la forme d’un petit bâtiment, ouvert ou fermé, abritant le four, le tout construit avec les matériaux de la région, pierre ou molasse pour la voûte. Avec le développement des voies de communication, la brique réfractaire s’est imposée, en particulier lors des rénovations.

Le fonctionnement du four nécessitait une certaine organisation parfois confiée à un boulanger appelé aussi fournier. Chacun et chacune, à tour de rôle, pouvait faire cuire son pain tout en devant fournir le bois nécessaire.

Afin d’éviter tout malentendu, souvent, le pain devait comporter une marque ce qui peut expliquer que, parfois, le mot « marque » puisse être réservé à une sorte de pain qui peut se conserver assez longtemps. Bien sûr, l’usage commun du four en faisait un lieu de convivialité très apprécié mais cela pouvait également donner lieu à de nombreuses querelles !

En plus de la cuisson, le four avait aussi d’autres fonctions. En particulier, on pouvait récupérer les cendres qui pouvaient remplacer le savon et aussi les braises qui, lorsqu’elles étaient éteintes rapidement, donnaient le charbon nécessaire pour l’utilisation des fers à repasser.

N’oublions pas le 16 mai de chaque année, de fêter Saint Honoré le saint patron des boulangers.

Les fours à chanvre

En dehors du four à pain, dans les campagnes, il existait une autre sorte de four, le four à chanvre. Son histoire est bien moins documentée que celle des fours à pain.

Le chanvre est sans doute la première plante à avoir été cultivée par l’homme. Elle était cultivée en Asie centrale vers 2900 avant notre ère. Les Égyptiens l’utilisaient aussi en médecine pour soigner les orteils, les yeux, les morsures venimeuses ou encore lors de certains lavements. Au Moyen Âge, Charlemagne en encourage la culture car le chanvre devient un enjeu stratégique en raison de ses nombreuses utilisations : vêtements, cordages, voiles, papier à écrire, … Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le développement du commerce international entraîne une plus grande utilisation des navires. C’est l’âge d’or du chanvre et c’est à cette période que sont construits de nombreux fours à chanvre. En effet, après le rouissage, c’est-à-dire le pourrissement dans l’eau des parties tendres qui permettent ainsi la séparation de la fibre du bois, le chanvre doit être séché.

C’est alors que des fours à pain peuvent être utilisés pour remplacer le séchage qui était effectué dans les près. Mais ceci n’est pas sans inconvénient car toutes les parties du chanvre exhalent une odeur forte extrêmement désagréable qui peut provoquer des vertiges ou encore des éblouissements sans compter une certaine ivresse !

D’où des constructions spécifiques. En France, Bréhemont en Indre-et-Loire, passe pour être la commune française ayant possédé le plus de fours à chanvre (plus de 150, dont une centaine sont encore visibles). Il n’est plus question d’un seul four banal possédé par le seigneur du lieu !

À Teloché dans la Sarthe, la culture du chanvre était la principale culture de la commune dans les années 1950 – 1970. On y compte cinq fours à chanvre, dont celui-ci :

Les fours communaux de Senaux

Les archives nous ont livré peu de renseignements concernant les fours qui ont pu exister à Senaux. Les plus anciens témoignages datent de 1791. Nous pouvons les lire dans des documents cadastraux, les États de sections. Nous y apprenons que la Communauté de Senaux possédait des fours fournials :

L’absence d’archives prérévolutionnaires pour la communauté de Senaux ne permet pas de connaître le statut de ces fours avant la Révolution. S’agissait-il de fours banaux appartenant au seigneur ou appartenaient-ils déjà à la communauté villageoise ?

Il s’agissait de deux fours situés dans un bâtiment ouvert, un petit destiné à la cuisson du pain et un plus grand, aujourd’hui complètement détruit, pour le séchage du chanvre. Nous pouvons les voir dans le plan cadastral de 1827 ou sur une carte postale du bourg de Senaux datée de 1905 environ.

L’édification en ce lieu peut surprendre car, en général, les fours sont construits loin des habitations. Or ici, le fournial est adossé à un bâtiment que l’on voit au fond sur la carte postale et qui porte le numéro 550 du plan cadastral. Ceci est confirmé lors de la vente de ce dernier, le 16 avril 1806, par Jean Marie de GOUDON (1771-1833) à Pierre ROUCAYROL (1753-1823), laboureur de Senaux, qui a été premier adjoint au maire de 1793 à 1797[1] : le bâtiment confronte « au couchant fournials de la commune ». Notons que l’acte de vente parle également d’une chènevière, c’est-à-dire d’un champ où on cultive le chanvre. 

Les délibérations du conseil municipal nous permettent d’avoir des témoignages de divers travaux nécessaires à leur entretien. C’est ainsi que le 18 juillet 1815 : « … Monsieur le maire a exposé au conseil que le four commun de la mazade dudit Senaux ayant croulé par vétusté, il en a fait part à Monsieur le sous-préfet qui l’a autorisé … à réunir extraordinairement le conseil municipal pour délibérer sur les moyens à pourvoir à la reconstruction dudit four, que l’urgence exigeant qu’il ne se mit aucun retard, … il l’a fait reconstruire par les dits Bénézech père et fils maçons du Briol qui ont fini le travail … ».

Le 3 août 1879, le maire et les membres du Conseil insistent aussi sur l’importance des travaux à faire effectuer : « M. le maire appelle ensuite l’attention du conseil sur le mauvais état des fours communaux qui sont tombés en ruine depuis quelques temps. Il fait observer qu’il est d’un intérêt général de les faire réparer, et appelle le conseil à délibérer sur l’urgence et sur le moyen qu’il y aurait à prendre pour remédier à ce fâcheux état de choses.

  1. Vayrette dit que cette réparation est très urgente, parce que les fours particuliers faisant défaut, la population agglomérée de Senaux qui est actuellement dans la proportion de 42 ménages environ sur 49, se trouve dans un grand embarras pour cuire le pain. »

Lors de ces travaux exécutés en 1881, tout le bâtiment a été repris (murs et toiture) et le four à pain a été entièrement reconstruit : « Il est convenu que le dallage et la voûte seront faits en pierres spéciales résistant au feu et que les dimensions du four reconstruit seront les mêmes que celles de l’ancien dont il occupera l’emplacement. »

Bien sûr, la proximité des deux fours donne lieu à diverses délibérations du conseil municipal. C’est ainsi que le 7 décembre 1880 « Il est interdit de mettre du chanvre dans le petit four banal de Senaux, le grand four restant spécialement affecté à cette destination ». Ceci est encore rappelé le 10 avril 1897 : « considérant que le petit four communal est l’objet de détérioration provenant de l’habitude d’y mettre du chanvre, du bois en bûches ou fagots divers malgré l’affectation propre de la cuisson du pain, ce qui occasionne la prompte dégradation du pavage ou de la maçonnerie, il est interdit de mettre du chanvre, des bûches de bois, des gerbes de genêts ou fagots divers dans le petit four communal, le grand four restant affecté à cet usage ».

[1] Voir : Maires et élections municipales à Senaux de la Révolution à 2023, p. 3 (Aline Pezous)

L’utilisation des fours

Concernant l’utilisation des fours, comme il y avait très peu de fours particuliers dans le village, le four à pain était très demandé. Ce qui a amené le conseil municipal à prendre le 2 mai 1834, un arrêté réglementant son usage :

« … le Maire de la Commune de Senaux… ayant appris par des plaintes journalières, qu’il y avait constamment des discussions, qui souvent provoquent des rixes sérieuses entre les habitants du village de Senaux chef-lieu de cette commune, à l’effet de la cuisson du pain au four communal, par suite de vouloir cuire le pain en même temps ou les uns avant les autres ; désirant dans l’intérêt de ses administrés que cet état de choses cesse a résolu de prendre l’arrêté suivant afin de conserver la bonne intelligence entre eux.

En conséquence, il arrête ce qui suit :

Art 1° – à l’avenir, chaque individu qui voudra cuire du pain au four communal … sera obligé de porter la veille seulement, dans le fournial attenant, un morceau de bois, genêt, etc pour marquer qu’il veut faire au four. Le premier qui aura mis la marque, cuira son pain, le second viendra après, le troisième de même et ainsi de suite. »

Ce four à pain fonctionnait encore durant les années 1940. Et dans la décennie suivante, la municipalité va réaliser d’importants travaux. Le fond du four à pain est démoli (seule l’entrée subsiste) et le four à chanvre est supprimé. À sa place, un petit bâtiment est construit pour abriter deux lavoirs en ciment, et plus tard une cabine téléphonique.

Plus récemment, la mairie a effectué des travaux de restauration incluant tout l’environnement : en 2011, rénovation du toit du four et en 2016, réfection et embellissement de la Fontaine de la chaussée située tout à côté.

Enfin, Jean Luc Sicard a profité du lieu pour l’agrémenter en 2023 de magnifiques nichoirs et en 2024 l’association des Amis de Senaux a installé une splendide boîte à livres.