Les pigeonniers dans l’histoire
L’élevage des pigeons, colombes ou autres tourterelles, est pratiqué depuis l’Antiquité. En Égypte ancienne, ces oiseaux servent tant comme nourriture que comme offrande pour les morts, sans oublier les fêtes qui en exigeaient plusieurs milliers, plus de 50 000 tourterelles et 6 000 colombes pour une fête lors du règne de Ramsès III. On parle alors de volière, comme on en voit dans les sanctuaires de Karnak pour illustrer des festivités sous le règne d’Akhénaton. Toutefois, l’élevage ne semble pas avoir été alors aussi systématiquement développé qu’il le sera de l’époque gréco-romaine jusqu’à nos jours où les pigeonniers agrémentent partout nos campagnes.
Même si l’on n’a pas retrouvé trace de bâtiments datant de la période gallo-romaine, ce sont sans doute les Romains qui ont introduit en France, pour tout citoyen, l’élevage des pigeons. Charlemagne a réservé cette aviculture à ses intendants, ses gouverneurs et ses abbés. Dans le Nord de la France, le droit de colombage ou de colombier a donc été progressivement réservé aux grands propriétaires comme les seigneurs ou les abbayes ; ils ont pu édifier des bâtiments en pierre ou en brique. Les petits propriétaires avaient le droit de pigeonnier, c’est-à-dire, de construire des pigeonniers en bois. Par contre, dans le Sud, déjà en 1682, Simon d’Olive conseiller au Parlement de Toulouse déclarait « qu’il soit permis à tout le monde de bâtir un pigeonnier », d’où leur grand nombre en Occitanie et plus spécialement dans le Tarn. Il n’en demeure pas moins que les Cahiers de doléances soumis aux États généraux rapportent les plaintes des pauvres paysans qui supportent mal ces volatiles qui viennent piller leurs modestes champs au moment des semailles. Par décret des 4 et 11 août 1789, la Révolution met fin à ces privilèges, le terme pigeonnier supplantera celui de colombier. Reste tout de même, la colombophilie !
Ceci n’empêchera pas la pratique de se poursuivre car, en dehors de son intérêt alimentaire, elle permettait d’avoir de l’engrais à bon compte : la fiente des pigeons appelée colombine. Elle était déversée dans les champs par temps de pluie pour permettre une dissolution rapide et éviter qu’elle ne brûle les terres. La poudre de colombine séchée était aussi utilisée pour protéger les grains et semences des attaques de charançons. En outre, les éleveurs de pigeons pouvaient en faire le commerce d’où une source de revenus supplémentaires. Le pigeon avait aussi une fonction médicale : il était à la base de l’alimentation des malades et des convalescents et on utilisait son sang pour guérir les maladies des yeux ! Ainsi ce volatile participait activement à l’économie rurale. En outre, n’oublions pas le rôle important des pigeons dans la transmission des messages et l’observation des troupes durant la Première guerre mondiale : la France en comptait près de 30 000. Mais la crise du phylloxéra, signalé en France pour la première fois en 1863, et l’utilisation d’engrais chimiques ont marqué le déclin des pigeonniers. Ils restent des témoignages du passé que les Bâtiments de France ou de nombreuses associations mettent en valeur.
Diverses sortes de bâtiments
Le département du Tarn a la chance de posséder de très nombreux pigeonniers de styles différents et construits à partir de divers matériaux. Comme celui de Senaux, nous pouvons tout d’abord distinguer les « pigeonniers sur arcades ». Ce sont les plus impressionnants par l’importance de leur construction. Leur surface au sol permet d’avoir des murs plus épais donc plus résistants aux intempéries. Contrairement à celui de Senaux, leurs piliers sont le plus souvent carrés. Quant aux matériaux utilisés, ce peut être de la brique ou de la pierre soit de taille soit brute. Bien sûr, il existe une autre sorte dite « pigeonnier sur piliers » dont le corps du bâtiment repose sur quatre piliers et des « tours cylindriques ou carrées ». On trouve aussi beaucoup de pigeonniers dits de « type toulousain ou pied de mulet » à cause de leur forme à deux toits décalés. Malheureusement, pour Senaux, nous n’avons aucun témoignage sur la partie centrale ainsi que sur le toit. Nous pouvons seulement faire référence à deux pigeonniers proches, celui de Lacapelle-Escroux et celui du Masnau-Massuguies.
Pigeonnier sur piliers : Aussac
Pigeonnier pied de mulet : Montans
Pigeonnier cylindrique : Lombers
Le Masnau-Massuguiès
Le Masnau-Massuguiès
Le Masnau-Massuguiès
En général, les pigeonniers se situent dans les champs céréaliers ou proches des vignes. Ils sont éloignés des arbres pour éviter les rapaces et des cours d’eau car la fiente des pigeons les polluerait. En ce sens, tant à Senaux qu’au Masnau-Massuguiès, la présence d’une fontaine à leur intérieur peut être considérée comme inhabituelle. Mais il se peut qu’anciennement la source ait été protégée.
Il n’en demeure pas moins que l’ensemble fontaine-pigeonnier de Senaux donne lieu à un bâtiment original et qu’aucune autre fontaine d’architecture analogue ne semble exister dans le département. Certes, a-t-il été démoli par le temps ? Ou par un des différents propriétaires puisque « les pierres ont été vendues » ? On rencontre effectivement dans certaines constructions du village, des pierres rougeâtres, la « pierre du Rouergue », qui pourraient provenir soit du château soit du pigeonnier. Mais, ce qu’il en reste est une bâtisse imposante construite en pierre sèche de lauze sur un sol de 4,80 m sur 4,80 m et des murs épais de 80 cm.
Le pigeonnier en arcades est adossé au champ d’où jaillit la source. Ainsi, il présente seulement trois ouvertures : une côté « chemin communal », une autre, côté « jardin du château » et enfin une dernière, côté « cimetière familial des de Goudon ». Le mur de la source est orné de deux arcades, la seconde mettant en évidence le réceptacle de la fontaine qui est situé devant. De forme rectangulaire, il est encadré par une margelle en pierre du Rouergue, margelle qui présente une échancrure servant soit à un passage d’une corde pour le puisage, soit comme déversoir. Le fond du réservoir est bâti sur le rocher, avec deux pentes, d’où l’eau sourd. Nous n’avons pas trouvé trace d’un quelconque robinet ou tuyau de l’amenée de l’eau. Sans doute, la fontaine et le pigeonnier ont été construits ensemble.
Historique de la fontaine-pigeonnier de Senaux
Les archives du château ayant été détruites lors de l’incendie qui a eu lieu le 28 février 1899, les documents historiques concernant la fontaine-pigeonnier de Senaux sont peu nombreux. Le pigeonnier ne figure pas dans les Extraits du registre des procédures de vérification des biens et droits nobles publiés en 1711.
Pour Senaux, nous lisons seulement :
« Premièrement jouit le Seigneur de Senaux un château audit lieu avec un jardin appelé du château contenant le sol du château 77 cannes et le jardin 2 cartes
Plus jouit aux appartenances dudit château un pré appelé de la borie contenant 6 ceterées
Plus une quantité de terre incultes appelées fraux de la Suque contenant 20 ceterées
Plus prend le seigneur de Senaux le droit de champart dans la plus part des terres, des habitants dudit lieu avec la censive droits de lods et autres droits seigneuriaux
Pouvant produire tous ci-dessus la somme de 150 livres de rente »
Mais c’est le cas pour celui du voisin, le seigneur d’Escroux, car, en particulier, nous lisons :
« M. d’Escroux jouit un château a sol herbé et cour confronte de toutes parts ses patus ou rues contient le sol du château 68 cannes sol herbé et cour 27 cannes alivré a 1 livre 16 sols 3 deniers
Un pigeonnier au-devant du château confronte de toutes parts ses patus contient 4 cannes alivré a 2 sols »
Ceci nous conduit à penser qu’en 1711, le pigeonnier n’était sans doute pas construit à Senaux.
Nous n’en trouvons pas trace non plus, dans les États de section cadastraux de 1791, mais ceux-ci nous sont parvenus de manière trop incomplète pour en déduire des conclusions bien affirmées.
En revanche, dans la procédure du procès qui a suivi le meurtre de Marguerite Calvet en 1795, nous apprenons qu’un des témoins Jean Rouquette, laboureur et officier municipal de Senaux, était allé chercher de l’eau à la fontaine du pigeonnier.
Tout ceci nous amène à penser que notre pigeonnier a sans doute été construit au XVIIIe siècle et, n’échappant pas à la règle, appartenait aux seigneurs de Senaux, à savoir à cette époque, les de GOUDON.
Voici la liste des propriétaires successifs que nous avons pu établir :
Propriétaires du pigeonnier
- Fin du XVIIIe siècle : Jean Louis Jacques Antoine de GOUDON – Marque de GAUTARD
- 30 juillet 1809 : Marie JULIEN épouse de Jean Marie de GOUDON de SENAUX
- Vers 1833 ; Louis Charles de GOUDON – Pauline Coralie CAMBON de LAVALETTE
- Vers 1878 : Jean Charles Philippe de GOUDON de SENAUX – Émilie Caroline ARDIGO
- 18 avril 1883 : Louis CAVAILLÈS – Noémie MADAULE (le pigeonnier est en ruine)
- 18 décembre 1883 : Jacques BARDOU – Philippine BLAVY
- 21 décembre 1892 : Jean MIQUEL – Louise LOUP
- 30 juillet 1903 : visite d’Ernest de CABROL, le pigeonnier a été démoli
- 27 novembre 1920 : Louis PAGÈS – Marie-Louise FABRE
- 6 février 1981 : Jean Louis CROS – Éliane FABRE
- 28 août 1994 : Apport à l’association « Les Amis de Senaux »
Nous pouvons remarquer que lors de la vente aux enchères qui a eu lieu le 18 avril 1883, le pigeonnier est déclaré comme étant en ruine et qu’à la suite d’une visite effectuée par Ernest de CABROL, fils d’Olympe de GOUDON, le 30 juillet 1903, ce dernier constate avec tristesse que le pigeonnier a été démoli, c’est-à-dire qu’il en est seulement resté le bas. Cette base, envahie par le lierre, a été restaurée par l’Association en 1997.
Travaux réalisés par l’association « Les Amis de Senaux »
Dès sa création en mai 1993, l’association s’est penchée sur la Fontaine du Pigeonnier. Le chemin qui y conduit était totalement inexistant car durant des décennies, la fontaine avait été oubliée, ignorée même, cachée dans un écrin de verdure et rongée par le lierre.
Dès le mois de juillet 1993, le chemin d’accès d’une longueur de 80 m environ, a été rouvert par de courageux membres de l’association. Les propriétaires du pigeonnier, Jean-Louis et Éliane CROS, ont ensuite fait l’apport de celui-ci à l’association, par un acte notarié signé le 28 août 1994 devant Me Henri OUSTRIC notaire à Fabrezan (11). Vu son grand âge, le bâtiment exige de sérieux travaux de réfection. Aidée par l’État, le Département, la Commune et divers donateurs, l’association confie en avril 1997, la restauration à l’entreprise GAUTHIER de Toulouse spécialisée dans la consolidation d’ouvrages d’art.
Mais en attendant l’intervention de ces spécialistes, les travaux de déblaiement se sont poursuivis notamment au niveau de la fontaine, nichée sous une voûte elle-même surmontée d’une grande voûte romane adossée au talus. L’eau emplit un réservoir rectangulaire (de 2 m sur 0,90 m) creusé en-dessous du niveau du sol et retenue par une margelle en pierre du Rouergue. Après avoir enlevé les pierres et la vase qui s’y étaient accumulées, les déblayeurs ont pu constater que le fonds du réservoir est bâti sur le rocher avec deux pentes d’où l’eau sourd.
La présence d’une échancrure dans la pierre frontale, permet d’imaginer que les anciens avaient deux possibilités : soit permettre à l’eau de s’évacuer librement vers les champs environnants, soit fermer cette ouverture afin d’obtenir le remplissage du réservoir. Presque à la hauteur du trou, restaient encore quelques constructions, témoins d’un drainage que les ans ont détruit.
Avant de terminer ces travaux de nettoyage, deux boisseaux rectangulaires ont été posés pour assurer l’écoulement du trop-plein de l’eau via un tuyau en PVC et protéger ainsi le bâtiment.
Lors des travaux de déblaiement, des marches ont été mises à jour du côté du cimetière des de GOUDON. Les travaux de restauration de la Fontaine du Pigeonnier se sont terminés par la réfection de ces marches et par la construction de marches d’escalier pour l’accès du côté du chemin venant du village – celui-ci devant être, à l’origine, au même niveau que le sol de l’édifice.
Après complète restauration, la Fontaine du Pigeonnier a été inaugurée le 10 août 1997.