Le cimetière familial des de Goudon

Contexte historique

Encore aujourd’hui, les cimetières familiaux protestants donnent lieu à de nombreuses études. Des associations ont même été créées pour leur sauvegarde.

Lors de nos propos concernant le cimetière protestant de Senaux, nous avons rappelé que la Réforme avait introduit plusieurs idées afin de rompre avec la pompe catholique. Ainsi, conformément aux « Ordonnances ecclésiastiques de Genève » publiées en 1541, elle répudie tout culte rendu aux morts, aucune cérémonie funèbre n’est prévue, le lieu est indifférent : «Qu’on ensevelisse honnêtement les morts au lieu ordonné. De la suite et compagnie nous laissons à la discrétion de chacun».

En France, l’interdiction du protestantisme de 1685 à 1787, a amené les « nouveaux convertis » restés secrètement fidèles à leur foi, à se faire enterrer dans les caves, jardins ou prés. Plus qu’à la ville, l’absence de cimetières conduit à entrer dans le secret : les inhumations ont lieu le plus souvent, la nuit, sans déclaration de décès. La pratique, cette fois au grand jour, se maintient après l’édit de Versailles de 1787, dit de tolérance. Lors du décret du 12 juin 1804 qui régit les sépultures, dans son article 14, le droit d’inhumer sur sa propriété est conservé mais sous certaines restrictions :

Ainsi, les cimetières familiaux et privés se généralisent au cours du XIXe siècle. Protégés par la République, il semble qu’ils soient inaliénables et invendables. Ils font partie à présent du petit patrimoine rural que nous devons essayer de sauvegarder au mieux. Mais pour ceux qui sont encore visibles, assez souvent ils ne comportent plus aucune marque d’inhumation et ils sont peu entretenus, de telle sorte qu’il est difficile de savoir exactement qui repose en ces lieux.

De nos jours, il semble qu’il soit possible de se faire inhumer dans un domaine privé, mais seulement sous certaines conditions : distance de trente-cinq à quarante mètres au moins des enceintes communales, avis d’un hydrogéologue agréé et surtout, autorisation du préfet du département…

 

Les tombes familiales à Senaux

En ce qui concerne les tombes protestantes, nous savons que la situation est variable selon les régions et même dans des lieux très voisins. Par exemple, en 1836, à Senaux où la population est à moitié protestante, il existe un cimetière protestant, et au cours du temps, de nombreuses tombes familiales ont vu le jour. En revanche, dans le village voisin de Lacapelle-Escroux, à la même date, on compte 472 catholiques et seulement 55 protestants, il n’y a pas de cimetière protestant. Lacaune, ville beaucoup plus importante, possède un cimetière protestant et aucune tombe familiale*.

Mais revenons à Senaux. Nous pouvons recenser, tant dans le bourg que dans divers champs, une douzaine de tombes familiales, dont deux sont liées à la famille de Goudon : celle de Jean Marie de Goudon avec deux de ses enfants et, en un autre lieu, celle de sa sœur Jeanne Louise de Goudon avec son époux Jean Pierre Cariès de Senilhes.

* Voir Chabbert Rémi, Le cimetière protestant de Lacaune, Nages, Centre de Recherches du Patrimoine de Rieumontagné, 2021.

Le cimetière de la famille de Jean Marie de GOUDON

En haut de ce qui était autrefois le « jardin du château », on peut voir aujourd’hui une dalle de pierre, toute simple, qui indique l’endroit où sont inhumés Jean Marie de GOUDON (1771-1833) et deux de ses enfants Olympe (1801-1875) et Louis Charles (1806-1878). C’est le dernier vestige du cimetière familial des seigneurs de Senaux :

Fils de Jean Louis Jacques Antoine de GOUDON et de Marque de GAUTARD de la TÉNARIÉ, Jean Marie de GOUDON naît le 31 août 1771 à Lacaune.

Le 8 juillet 1799, il épouse à Lacaune Marie JULIEN, fille de Jacques JULIEN et de Marie Marque SAUSSIERES de Berlats. Le couple a eu au moins 6 enfants :

  • Marie Nelly, née le 20 septembre 1800 à Lacaune, décédée le 5 septembre 1860 à Viane ;
  • Jeanne (Marthe) Suzanne Olympe, née le 11 décembre 1801 à Lacaune, mariée à Senaux le 2 mars 1829 à Pierre de CABROL de Castelnau de Brassac, décédée le 13 février 1875 à Castres ;
  • Louise, née le 22 février 1803 à Senaux, décédée le 28 août 1803 à Senaux ;
  • Anaïs (Virginie), née le 20 février 1804 à Senaux, décédée le 18 juin 1847 à Viane ;
  • Louis Charles, née le 28 septembre 1806 à Senaux, marié à Gijounet le 29 juin 1832 avec Pauline Coralie CAMBON de LAVALETTE, décédé le 25 août 1878 à Senaux ;
  • Eugénie Marguerite Victoire, née le 9 août 1808 à Senaux, décédée le 16 juin 1809 à Senaux.

 

Jean Marie de GOUDON décède le 8 décembre 1833 à Senaux et Marie JULIEN le 8 novembre 1819 également à Senaux.

C’est cette famille de Goudon qui s’est installée et a vécu de manière permanente à Senaux, et ce à partir de 1802-1803. Auparavant, bien qu’étant seigneur de Senaux, les de Goudon vivaient au château de Malviès à St Sever du Moustier (12), puis à la Sautié commune de Lacaze et ensuite à Lacaune.

Leur installation à Senaux coïncide avec le décès du père Jean Louis Jacques Antoine, le 5 février 1803 à Lacaune. Son fils Jean Marie hérite de la plus grande partie des possessions situées à Senaux.

 

Lorsqu’ils résidaient à Lacaune, les de Goudon enterraient leurs défunts au cimetière protestant de Lacaune, comme la grand-mère Marianne Françoise DURAND de BONNE de SÉNÉGAS en mars 1785 ou l’arrière-grand-mère Antoinette de GALTIER en juillet 1787. (CHABBERT Rémi, Le cimetière protestant de Lacaune, CRPR)

Après leur installation à Senaux au tout début du XIXe siècle donc, ils vont enterrer leurs morts dans un cimetière familial à l’extrémité du jardin du château.

 

Comme nous l’avons déjà dit, il ne reste de nos jours, qu’une seule pierre tombale visible. Elle a été posée en 1903 à la demande d’un descendant, Charles Marc Elie Ernest CABROL (1834-1911), fils d’Olympe. Elle ne comporte que trois noms, ignorant deux enfants décédés en bas âge et surtout l’épouse qui, pourtant est décédée à Senaux. Nous retrouvons la situation inverse pour Olympe qui est décédée, comme son époux, à Castres, mais qui a été enterrée à Senaux tandis que son mari l’est au cimetière protestant de Castres.

Avant la mise en place de la plaque tombale plusieurs faits méritent d’être contés. Tout d’abord, le 18 avril 1883, les biens de Jean Charles Philippe, petit fils de Jean Marie de GOUDON sont vendus aux enchères à Louis CAVAILLÈS. Le « jardin du château » change donc de propriétaire. Ensuite, le nouvel acquéreur en revend une partie à Jacques BARDOU et à son épouse Marie Nelly BLAVY née de GOUDON, fille aînée de Jean Marie de GOUDON et sœur d’Olympe et de Louis Charles.

À la suite de cette vente, le 22 septembre 1885, Ernest Charles Marc Elie de CABROL, fils d’Olympe De GOUDON et de Pierre de CABROL, rachète « le cimetière de la famille de Goudon de Senaux, situé dans le jardin formant le numéro 530 section A du plan cadastral de ladite commune de Senaux, d’une contenance le dit cimetière d’environ dix centiares confrontant de toutes parts le vendeur. »

 

Le 27 septembre 1993, Jean Jacques de CABROL petit-fils d’Ernest Charles Marc Elie de CABROL, en donne la raison : « Après la vente de Senaux, il n’y avait aucune réserve quant au cimetière et c’est pourquoi mon grand-père a racheté à M. BARDOU le terrain où se trouvent les tombes. La vente a eu lieu en l’étude de Me BONNAFOUS, notaire à Viane, le 22 7bre 1885. »

Auparavant, le fils d’Olympe en donnait lui-même le témoignage dans une lettre qu’il écrivait le 30 juillet 1903 : « … ces lieux où reposent les restes sacrés de celle que nous avons tant aimée, ainsi que ceux de son père et de son frère. Cette bonne mère repose entre eux deux, et la pierre que nous avons fait mettre porte les noms de tous les trois. Une haie haute et épaisse entoure ce champ du repos, en sorte qu’il est à tout jamais à l’abri de toute incursion du dehors. »

D’après la matrice cadastrale, il semble que cette parcelle ait été à nouveau possédée par la famille Bardou à partir de 1905 environ.

Comme il est dit plus haut, il existe dans le village, une autre tombe dans laquelle sont inhumées deux personnes liées à la famille de GOUDON. Il s’agit de Jeanne Louise de GOUDON, sœur de Jean Marie de GOUDON et de son époux Jean Pierre CARIÈS de SENILHES, ancien officier de marine originaire de Lacaune. Ce couple aura trois enfants nés à Lacaune. Il vivra ensuite à Senaux dans une maison du village héritée des parents de Jeanne Louise lors du partage de leurs biens du 30 juillet 1809. Jeanne Louise décède le 13 septembre 1826 et son époux le 10 mars 1828. Ils seront inhumés dans le jardin de leur maison.