Le puits

Creusements des puits

Les points d’eau tels que fontaines, lavoirs ou puits, étaient dans les villes et les villages des lieux d’une importance capitale pour la population. Ces points d’eau, en plus de leur fonction utilitaire, jouaient un rôle social important. Ils constituaient des lieux de rassemblement ou de rencontre, soit au moment de leur construction ou des travaux d’entretien où l’entraide était nécessaire, soit quotidiennement pour les personnes chargées de la corvée de l’eau qui pouvaient ainsi bavarder et échanger les nouvelles du village.

 Mais l’arrivée de l’eau courante à l’intérieur des maisons a mis fin à ces activités collectives et les puits ayant perdu leur fonction utilitaire, ont disparu ou sont devenus de simples éléments décoratifs, témoins d’un passé pas si lointain qu’il est nécessaire de sauvegarder.

Remontons dans le passé.

Si l’homme a utilisé l’eau, indispensable à son existence, dès son origine, les premiers captages d’eau souterraine par puits ou par galeries sont très anciens. Les Chinois pratiquent depuis plusieurs millénaires la technique des forages, atteignant 1 500 m de profondeur, avec des tiges de bambou assemblées.

En France, les trois puits les plus profonds, creusés dans la roche et ayant de deux à trois mètres de diamètre, sont :

  • celui de la citadelle de Besançon (117 m de profondeur) que Vauban a fait creuser à la fin du 17e siècle ;
  • suivi de près par celui de la halle de Cordes sur Ciel (114 m) creusé au 13e siècle, bouché au 17e et rouvert aux 19e et 20e siècles.
  • et enfin celui du château de Joux près de Pontarlier dans le Doubs (102 m actuellement mais dont une partie a été comblée), creusé dans la forteresse à la demande de Vauban.  

Ces grands puits que l’on trouve dans des lieux fortifiés toujours placés sur des hauteurs, constituaient des réserves importantes d’eau, nécessaires en cas de siège. L’extraction des gravats lors du creusement de ces puits, de même que le puisage de l’eau ensuite, se faisait à l’aide d’une « cage à écureuil », sorte de grue du Moyen Âge, actionnée par un homme ou un animal. La construction de tels puits était un véritable exploit humain tant les difficultés rencontrées étaient importantes (utilisation de pioches pour creuser la roche, extraction des déblais, risque d’effondrement des parois, risque d’asphyxie dû à l’accumulation de gaz si la ventilation n’était pas suffisante, arrivée de l’eau lorsque la nappe phréatique était atteinte, …)

Mais rien de tel pour les puits de Senaux ! Malgré tout, le creusement d’un puits de quelques mètres de profondeur au siècle dernier, nécessitait un véritable savoir-faire.

En l’absence de source, l’homme doit rechercher l’eau sous terre. C’est le rôle du sourcier qui utilise pour cette besogne une baguette de coudrier ou un pendule, qui représente toujours un symbole un peu magique. Une fois la position déterminée, le puits était creusé à la force des bras par le puisatier et ses aides. La largeur du puits doit être assez importante pour qu’un homme puisse y travailler, et sa profondeur dépend de celle de la nappe d’eau.

 Plusieurs personnes sont nécessaires : un homme au fond du trou pioche, rassemble la terre et les cailloux extraits dans un seau qui est remonté à la surface par un équipier. Lorsque le trou atteint la nappe  et se remplit d’eau, il faut l’évacuer pour pouvoir continuer à creuser sous le niveau de l’eau et constituer ainsi une réserve.

 Les puisatiers d’autrefois mettaient en place une chèvre faite de trois rondins liés en haut et fichés en bas dans le sol autour du trou à creuser.

Une fois le trou creusé, il fallait bâtir la gaine du puits entre le niveau de la nappe et la margelle avec des pierres, en respectant les règles de la maçonnerie. Les pierres étaient descendues dans un seau ou au bout d’une corde pour les plus grosses. Pour bâtir l’intérieur des puits au Moyen-Âge, une autre technique a été utilisée pour les puits plus importants : la pose progressive du fût maçonné sur une embase ronde appelée « roue » faite d’une solide charpente circulaire en bois, vide en son centre, donc non renforcée par des rayons afin que ceux-ci ne gênent pas le creusement. Lorsque les puisatiers approfondissaient le puits, ils creusaient également sous cette roue qui s’enfonçait ainsi progressivement dans le sol et qui supportait le fût de maçonnerie construit par des ouvriers postés à la surface au fur et à mesure de l’enfoncement. Cette technique permettait d’une part d’éviter d’avoir à descendre à la poulie les pierres taillées au fond du puits et, d’autre part, sécurisait le travail des puisatiers en évitant le risque d’éboulement des parois puisque le maçonnage de celles-ci était réalisé au fur et à mesure de l’approfondissement du puits. Dans son Dictionnaire de l’architecture médiévale, Eugène Viollet-Le-Duc mentionne avoir retrouvé au fond de nombreux puits médiévaux ces roues en bois de charpente, assez bien conservées malgré un séjour de plusieurs siècles sous l’eau et qui attestent cette technique de construction.

Tout ceci fait, il restait à protéger le puits par une petite construction couverte d’un toit de lauses dans nos montagnes. L’accès au puits se fait par une ouverture protégée par une porte en bois ou des barreaux métalliques.

Pour le puisage de l’eau, les solutions les plus simples sont l’utilisation :

  • d’une corde : un seau est attaché à une corde, on jette le seau dans le puits et on le remonte à la force des bras ;
  • d’une corde (ou une chaîne) et d’une poulie : la poulie est accrochée à une potence au centre du puits. La corde où pend le seau se loge dans la gorge de la poulie. Il suffit de tirer sur la corde pour faire remonter le seau rempli ;
  • d’un treuil : un cylindre de bois placé horizontalement sur la partie supérieure du puits. À ses extrémités, une ou deux manivelles enroulent une chaîne sur le cylindre.

Il ne faut pas oublier un outil absolument indispensable : le cerca pouts ! Mais, qu’es aco un cerca pouts ? littéralement : un cherche-puits. Il s’agit d’un grappin, le plus souvent en fer forgé et réalisé par le forgeron du village, composé de plusieurs crochets disposés dans toutes les directions. Il était très utile lorsqu’une manœuvre malhabile provoquait la chute du seau au fond du puits. Descendu à l’aide d’une corde, il permettait, grâce à ses hameçons en tous sens, de récupérer l’objet perdu.

Les puits à Senaux

Au début du siècle dernier, le village de Senaux possédait au moins cinq puits, tous situés dans le haut du village et dispersés dans un rayon de seulement une cinquantaine de mètres.

À cette époque-là, chaque puits portait le nom ou le surnom de son propriétaire.

Tout autour du Puits restauré par l’association, il y en avait trois autres : le puits de Crespy comblé depuis longtemps, le puits d’Isac dont le bâtiment en ruines est encore bien visible dans le talus du chemin et en-dessous, le puits de la Carayonte qui a complètement disparu après l’agrandissement et l’enrochement du talus en 2017. Le cinquième, comblé lui-aussi, se trouvait tout près, à l’intérieur de la maison qui autrefois servait de laiterie pour la fabrication du roquefort.

Il ne reste donc que le puits que l’on peut voir à l’entrée du village, bien entretenu, et que l’on nomme Le Puits tout simplement et dont voici l’histoire.

Le Puits et son histoire

Celui-ci avait, dans les temps anciens, deux noms car il avait deux propriétaires. On le nommait puits de la Cabanarde ou bien puits de Lansargues. De nos jours dans le village, on le nomme simplement Le Puits !

Tout commence pour lui en 1905 lorsque deux voisins, Jeanne FARGUES (Escroux 13 septembre 1863 – Senaux 16 août 1906) veuve de Jacques LANDES et Louis GRANIER (Senaux 1er août 1842 – Senaux 18 août 1913), décident d’acheter une minuscule parcelle « de 4 m2 50 cm2 à prendre au midi d’une terre dite Parrage (Parrache) compris sous le n° 512 section A du plan cadastral de la commune de Senaux ». L’acte de vente est passé le 3 décembre 1905 devant Me BONNAFOUS notaire de Viane. Les vendeurs sont Suzanne COULON veuve de David BARDOU, usufruitière des biens de son mari décédé, et ses trois enfants David, Suzanne épouse de Louis MAFFRE et Marie épouse de Louis SOULIÉ.

La vente est consentie « à chacun par moitié et indivisément pour le tout » pour la somme de vingt francs. Il est bien spécifié dans l’acte que « sur la contenance sus vendue, les acquéreurs ont l’intention de creuser un puits. »

 Il semble que les nouveaux propriétaires du terrain se soient mis à l’ouvrage sans tarder car sur un petit carnet conservé par les descendants de la famille GRANIER, la main malhabile de Anne, fille de Louis GRANIER, a écrit :

Bien sûr, il y a une incohérence au niveau des dates. Il est vraisemblable qu’elle se soit trompée d’année et que l’on doive lire 22 mars 1906.

Il s’agit d’un puits circulaire qui a actuellement 5,6 m de profondeur (par rapport au niveau du sol) et entre 1 m et 1,1 m de diamètre. La hauteur de l’eau est de 1, 6 m (au mois d’avril).

À part ses deux propriétaires, d’autres personnes ont eu le droit d’aller puiser l’eau de ce puits. Tout d’abord, l’acte de vente du terrain précise que « les vendeurs auront le droit d’aller puiser sans indemnités de l’eau à ce puits et sans être tenus non plus à contribuer aux réparations d’entretien ».

Par ailleurs, une lettre manuscrite de Louis FABRE dit Lansargues, gendre de Louis GRANIER, sur papier timbré mais non datée, nous apprend que « Mme Appolonie BLANC veuve COMBET déclare n’avoir aucun droit et n’en demandera jamais du puits que je possède indivis avec Louise FARGUES veuve BLAVY. Madame BLANC continuera à tirer l’eau du puits moyennant la somme de un franc par mois jusqu’au jour où FABRE jugera de ne plus lui en laisser tirer de l’eau.

Le puits étant indivis avec Louise FARGUES, FABRE ne répond pas pour sa partie. La présente déclaration ne regarde que FABRE. »

Cette lettre porte uniquement la signature d’Appolonie BLANC.

Bien sûr, ce puits a été utilisé jusqu’à l’arrivée de l’eau courante dans les maisons du village, vers le milieu des années 1950. Il s’est ensuite doucement endormi en même temps que Senaux, quand celui-ci comme beaucoup d’autres villages, a connu un fort exode rural.

Mais en 1994, les héritières de Louis GRANIER et de Jeanne FARGUES l’ont prêté gracieusement à l’association Les Amis de Senaux nouvellement créée. Il s’agit d’un prêt à titre d’usage pour une durée de neuf ans, renouvelable par tacite reconduction, afin de le restaurer et de permettre le puisage de l’eau par les habitants du village.

Grâce au bénévolat de quelques adhérents de l’association et à l’aide du Conseil général du Tarn, ce projet a pu être réalisé et l’inauguration a eu lieu, en grande pompe cela va sans dire, le 27 août 1994.